Peut-on dire « par contre » ?

Maintenant que vous savez à quoi vous en tenir concernant « malgré que », essayons d’obtenir des éléments de réponse à propos de la locution « par contre ». Faut-il lui préférer l’expression « en revanche » ?

Un programme fort intéressant nous attend. Nous allons en effet voir ce qu’en disent le Littré, l’Académie française, mais également quelques grands auteurs.

Peut-on dire « par contre » selon Voltaire ?

Ce débat qui tiraille nombre d’amateurs de la langue commence en fait avec Voltaire. L’écrivain et philosophe des Lumières déclare en effet en 1760 qu’il est fautif d’employer « par contre », lui privilégiant l’expression « en revanche ». Depuis ce jour, les grammairiens n’ont cessé de se questionner sur cet épineux problème. Il semble hélas que Voltaire n’ait pas explicité sa pensée. Comment donc interpréter cette parole ?

Si l’on trouve parfois l’argument selon lequel cette locution ne pourrait être correcte, car composée de deux prépositions qui se suivent, il n’est en fait que peu convaincant. Comme dit dans le Littré, « la langue française admet, en certains cas, de doubles prépositions, de contre, d’après, etc. ». Cette explication semble ainsi insuffisante pour saisir la critique de Voltaire.

L’hypothèse reconnue massivement par les grammairiens est que la locution critiquée fait partie du langage commercial et devrait se limiter à ce seul usage. Elle serait donc condamnable en français châtié. C’est pour cette même raison que l’Académie française conseille d’éviter l’expression suite à, lui privilégiant à la suite de.

Peut-on dire « par contre » selon le Littré ?

« Par contre est une locution dont plusieurs se servent, pour dire en compensation, en revanche : Si les artisans sont ordinairement pauvres, par contre ils se portent bien ; Si le vin est cher cette année, par contre il est bon. Cette locution, qui a été tout particulièrement critiquée par Voltaire et qui paraît provenir du langage commercial […] ne se justifie guère logiquement, par contre signifiant bien plutôt contrairement que en compensation, et devant provenir de quelque ellipse commerciale (par contre ayant été dit pour par contre-envoi) ; en tout cas, il convient de suivre l’avis de Voltaire et de ne transporter cette locution hors du langage commercial dans aucun style. »

Vous noterez que les exemples pris par le Littré écorchent particulièrement l’oreille et n’ont peut-être pas été choisis de façon totalement impartiale.

Cet ouvrage publié à partir de 1863 permet de cerner la condamnation qui était faite à l’époque de l’expression « par contre ». Il était déconseillé de l’utiliser dans les hautes sphères, au risque d’y être mal vu. Ce marqueur social reste encore parfois dans les esprits.

Peut-on dire « par contre » selon André Gide ?

Cette condamnation n'a pas empêché les grands auteurs d'utiliser « par contre » dans leurs ouvrages. André Gide a d'ailleurs expliqué les raisons pour lesquelles il lui arrivait d'utiliser « par contre » :

« Je sais bien que Voltaire et Littré proscrivent cette locution ; mais « en revanche » et « en compensation », formules de remplacement que Littré propose, ne me paraissent pas toujours convenables… Trouveriez-vous décent qu’une femme vous dise : « oui, mon frère et mon mari sont revenus saufs de la guerre ; en revanche j’y ai perdu mes deux fils » ? ou « la moisson n’a pas été mauvaise, mais en compensation toutes les pommes de terre ont pourri » ? « Par contre » m’est nécessaire, et, me pardonne Littré, je m’y tiens. »

Peut-on dire « par contre » selon l’Académie française ?

L’Académie, tentant de résoudre ce long débat, fournit une réponse succincte dans la neuvième édition de son fameux Dictionnaire :

« Par contre : en revanche, d’un autre côté, en contrepartie, en compensation, à l’inverse. »

« Condamnée par Littré d’après une remarque de Voltaire, la locution adverbiale par contre a été utilisée par d’excellents auteurs français, de Stendhal à Montherlant, en passant par Anatole France, Henri de Régnier, André Gide, Marcel Proust, Jean Giraudoux, Georges Duhamel, Georges Bernanos, Paul Morand, Antoine de Saint-Exupéry, etc. Elle ne peut donc être considérée comme fautive, mais l’usage s’est établi de la déconseiller, chaque fois que l’emploi d’un autre adverbe est possible. »

Vous avez sans doute remarqué qu’elle utilise un argument qu’elle juge suffisant quant à résoudre ce problème alors même qu’elle n’en tient nullement compte concernant « malgré que ». Le Bon Usage définit d’ailleurs ce commentaire comme « un peu surprenant ».

Un débat toujours d’actualité

Si la question de savoir si l’utilisation de par contre est correcte ne se pose plus que pour de rares grammairiens, la distinction entre les deux expressions est sujette à de nombreux débats et les avis sont tout aussi divers que variés. Voyons deux théories parmi d’autres :

  1. Par contre s’emploie pour notifier une opposition entre les deux idées, alors que l’utilisation d’en revanche implique que les deux idées ne s’opposent pas.
    1. Paul est coquet lorsqu’il va au travail. Par contre, son état laisse à désirer le week-end.
    2. Paul possède beaucoup d’humour. En revanche, il n’est pas très généreux.
  2. Par contre impliquerait une phrase négative alors qu’en revanche serait d’usage plus neutre.
    1. Paul est coquet lorsqu’il va au travail. Par contre, il ne l’est pas le week-end.
    2. Paul est coquet lorsqu’il va au travail. En revanche, son état laisse à désirer le week-end.

Que faisons-nous alors ?

Toutes ces distinctions faites par les grammairiens sont-elles vraiment pertinentes ? Il semblerait que le débat ne soit pas près de finir.

Je ne peux que vous conseiller d’appliquer le même principe de sûreté que pour « malgré que ». Évitez d’inclure un « par contre » lors d’un concours officiel, voire lorsque vous écrivez une lettre de motivation.

En revanche, dans la vie de tous les jours, ou encore sur le forum, évitez de vous tracasser avec cette épineuse question.

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